« Le chien qui avait l’oreille cassée »

"Le chien jaune avait une oreille cassée", de Marie Murski, 2017

Les sept nouvelles qui composent ce livre explorent toutes l’enfance et la pré-adolescence. Elles tissent des liens avec des bêtes, d’une façon rationnelle et magique à la fois. Chaque bête, ici apprivoisée, si on peut dire, ou plutôt attentive à un être humain dans la détresse, devient un personnage crédible, touchant, presque familier. Avec le sang pour fil conducteur, selon la quatrième de couverture, les héroïnes, filles, femmes ou encore enfant, cherchent leur identité, se débattent et luttent pour leur survie, tour à tour assistées, secourues ou traquées par des bêtes : un cochon saigné rituellement, une renarde aux mamelles pleines, un chien jaune calamiteux, de grands et de petits oiseaux, parfois dits de malheur. Certaines jeunes héroïnes n’auront d’autre issue que de se laisser dévorer dans des pays d’épouvante, tandis que d’autres y trouveront de quoi survivre.
L’auteur est d’origine polonaise par son père. Sage-femme de métier, elle exerce en tant qu’humanitaire en Afrique, puis dans la Manche d’où elle publie poésie et nouvelles, sous un autre nom, jusqu’en 1990. Remarquée par Jean Breton, elle sera invitée par Bernard Pivot pour présenter une anthologie de la poésie française d’alors. Puis elle sera séquestrée pendant 14 ans par un homme qui lui intimera l’ordre de cesser de travailler et d’écrire. Sauvée de justesse, elle reprend son métier, publie sous l’actuel nom de plume trois romans, et enfin le présent recueil.
Au service d’une vision du monde peu amène, on comprend pourquoi, mais d’une véracité sans faille, l’écriture est classique, l’émotion la parcourt. Les sujets de ces nouvelles portent sur notre époque, exactement la France des années quatre-vingt et des cités en péril. Déjà, le ver est dans le fruit. Cependant, Marie Murski ne parle pas d’islamisme, à juste titre, puisque le versant totalitaire ne gangrène notre société qu’après les attentats fomentés par Ben Laden. La barbarie se suffit à elle-même, si on ose écrire, plus particulièrement la misère dans le couple, mais aussi dans la société. Marie Murski récite à sa façon, qu’elle réinvente sans faille, « l’alphabet du malheur ». Elle montre idéalement la réflexion que l’enfant échafaude et que les adultes font mine d’ignorer. Dire que notre société admet la raison à partir de sept ans seulement ! Quelle stupidité collective ! À ce sujet, la nouvelle des « Oiseaux du malheur » met en place une mécanique terrible, qui éclaire la mécanique du malheur, justement, et comment le sentiment de culpabilité peut prendre possession de l’innocence. « J’éclatai comme un ballon gonflé au-delà des limites. »
Je ne veux rien déflorer de ces beaux sujets, même si je suis resté un peu à l’écart d’une des sept nouvelles. Mais je sais pourquoi. J’ai eu du mal, en effet, à identifier le narrateur ; ce flou, sans doute volontaire, m’a empêché de me livrer, selon toute vraisemblance. Cette réserve établie, parce que je réitère la nécessité de la sincérité jusque dans la critique, ces nouvelles forment un bel espace de ressaisissement de l’enfance. Marie Murski est un écrivain de grande qualité.

Pierre Perrin, note du 5 janvier 2018

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Le chien jaune avait une oreille cassée … Marie Murski

Des nouvelles où peut-être des contes

Une immersion dans un monde parallèleimaginaire et torturé !! Un monde de sensations … une facette obscure, parfois lumineuse servi par une poésie « brute et animale » ! Des histoires profondes qui nous entrainent entre rivalité et dualité, entre tendresse et force, peur et fatalité,  douceur et cruauté …

L’autrice traque La Bête tapi en chacun de ses personnages, explore l’âme, écorche jusqu‘au saignement !!

C’est au delà d’une ambiance et de personnages torturés, c’est un Abîme d’émotions au coeur d’un humanisme viscéral !

« Sainte Gloire » p 69. Dans cette nouvelle Marie Murski y décrit une misère humaine, un monde de suspicion et de malheur … Un monde à la Eugéne Sue, « Les mystères de Paris » ! Une référence d’une grande « sublimité » !!

Derrière toutes ces histoires il y a bien sûre un fil conducteur la femme en tant que mère, fille, soeur, … 

Ce recueil de Nouvelles est une délectation, une oeuvre qui transperce l’âme du lecteur !! Une merveille !!

Un attendrissement tout particulier pour « La Renarde »

« La Renarde » Nouvelle primée au salon du livre de Villers-Sur-Mer le 20 août 2017 sur le thème « La belle histoire » inspiré par Claude Lelouch, parrain du salon. 

La renarde P 40 « La renarde s’assit, écouta les lointains sous-bois, regarda Angèle longuement. Ses yeux étaient doux, surprenants. La fourrure rousse, hérissée par la course et la peur, ondulait sur l’échine et la gorge pâle tandis que la tête au fin museau se redressait. La queue en panache se déploya. Soudain, d’un bond souple dans les fourrés, l’animal disparut. Angèle regagna la maison à pas lents. Madame Devigne étendait le linge dans le jardin. Le bébé dormait toujours.  Elle prit un long bain chaud ; elle songeait au beau regard de la renarde, au ventre à petits, aux mamelles rondes et pleines. Elle pressa ses seins, les détendit dans l’eau chaude. Il lui sembla que le lait coulait partout, dans les terriers, dans les rivières, dans le lit des femmes, partout sur la terre.

p 43 « Elle se mit à creuser, d’abord à petits coups, puis de toute la longueur de ses mains, ongles en avant. Comme les bêtes, elle s’accroupit et rejeta la terre derrière elle, entre ses jambes ouvertes. L’humus pénétrait sous ses ongles qu’elle sentait se casser, et sous sa peau. Elle rencontra une racine, la contourna, creusa plus profondément. Ses cheveux, dénoués dans la course, tombaient sur son visage, se mêlaient à la terre enlevée, s’arrachaient avec les mottes.

Angèle se redressa. Elle observa ses mains noires et blessées, son sang mêlé. Le trou qu’elle avait fait ressemblait à l’entrée – seulement l’entrée – d’un terrier de blaireau ou de renard. Elle s’allongea, gratta les parois afin d’y loger sa tête jusqu’aux épaules. Enfin, elle s’abandonna dans l’odeur de la terre aux bêtes, yeux ouverts dans l’obscurité, confiante. Elle pensait ongles qui deviennent griffes, mains fossilisées, cheveux de litière, herbes qui guérissent, racines qui protègent, arbres qui veillent. »

Quand le sang aura coulé …
P 12 « Flo se souvenait du soleil de ce jour, dragon enflammé tournoyant au ras de la terre. Elle avait traversé le reste du champ, posant délicatement ses fines sandales entre les tiges blessantes des épis fauchés; la sueur perlait sous son chapeau de paille, le manque d’air alourdissait sa robe de cotonnade blanche. Brûlée, saoulée par la poussière des blés, les mains en avant et titubant dans les battements de queue du dragon, elle s’était dirigée vers l’ombre de la haie. C’est là qu’elle avait trouvé sa sœur, derrière le tronc d’un grand chêne.

À son approche, Jeanne lui fit face, comme si elle l’attendait, et la regarda fixement ; ses yeux s’emplirent de larmes. Au moment où Flo allait tenter un geste vers elle – un vrai geste –, allait lui prendre les mains peut-être, lui parler, à ce moment où, à cause des larmes, tout devenait possible, Jeanne recula brusquement, empoigna les bords de sa jupe sombre et la releva très haut, se couvrant en partie le visage, les poings serrés contre ses yeux. Elle ne portait pas de culotte. Flo vit ses jambes nues, son sexe bombé recouvert d’une toison naissante, châtain doré.

C’était le même corps que le sien, la même blancheur, les mêmes jambes fines, les hanches un peu saillantes, le même doux creusement du ventre à l’endroit du nombril. Sœurs jumelles. A cet instant, elle perçut la réelle signification de cela. Là, dans le brasier de la moisson, elle reconnut l’intimité qui avait été la leur, treize ans plus tôt, dans le ventre de leur mère ; elle sentit la simplicité de l’embrassement, ce monde clos, ce vase doux et chaud, perdu, déjà loin, où elles étaient ensemble, déjà semblables.

Sainte Gloire P 69  «Elle devient belle ces temps-ci, belle à ma façon. Elle approche son visage des iris sombres reflétés, elle regarde au fond des iris, paupières et sourcils écartés. Elle voit quelque chose. Le dentifrice coule entre ses lèvres. Elle soulève une paupière, observe son œil comme on observe un œil mort, en reste là avec elle-même. Elle penche la tête vers le robinet, avale et crache.

La façon dont Luberte soulève sa paupière et regarde – et guette – son œil élargi, immobile, me fait rêver d’anciennes contrées, de nuits de chasse où l’on vole silencieusement dans une infinie solitude, à quelques mètres au-dessus de la terre qui craque sans jamais se pourfendre, gorgée de morts et de racines enchevêtrés.

Luberte connaît la terre, la mort aussi. »

Le nouveau regard d’Olga P 100 « Ce matin, quatrième jour. J’ai dormi d’un sommeil profond, souterrain. Par là même, je rejoignais le thème du roman que je voulais écrire. J’aurais pu m’en réjouir, si tout n’était pas au-delà du dramatique. Car au réveil, je ressentis le même malaise que la veille. Je me levai et mon corps s’affaissa sur mes jambes, il n’était plus soutenu. Je me traînai à la fenêtre. Le vautour, debout dans son nid, déchiquetait minutieusement un large lambeau de chair maintenu entre ses serres. La chair du haut de mes cuisses. Je le compris immédiatement car j’avais à présent un vide à cet endroit, l’impression que mon buste était presque détaché de mes jambes. Quelques tendons tenaient encore. J’étais coupée en deux. »

Luna P 135 « Luna pose ses pieds dans les vaguelettes, ressent quelques picotements, mais néanmoins, un grand soulagement. Puis, épuisée, haletante, elle s’allonge là, contre la paroi. Tout d’abord elle s’y sent bien ; malgré le tintamarre incessant de l’eau, la fraîcheur l’apaise et la réconforte. Elle ferme les yeux. Puis elle frissonne.

L’ombre est froide, elle emmure la paroi humide, elle lèche, elle couvre, elle suinte sa force, son état d’ombre et de solitude – ses anciennes grottes, ses ravins, ses cryptes, ses béances, sa parole qui tourne, qui glisse au fond des puits, loin de toutes les margelles connues. Sa phonation est lente, profonde. Elle coule sur les blessures de Luna qui sont des blessures de lumière ; elle les remplit de glace et de patience ; elle pétrifie les larmes, le tremblement des doigts, les déchirures de la robe. Elle s’applique. Elle s’attarde. »

Editions Complicités 

Genre ; Nouvelles 

Publié en 2017