« Cris dans un jardin »
Marie Murski : « Après avoir reçu anonymement le témoignage de 14 années de violences et d’enfermement dans un jardin, mon blog, en 2014, est devenu un livre : Cris dans un jardin dédié à toutes mes sœurs d’infortune. Il décrit le processus irréversible de la violence, de la terreur, du décervelage, année après année, durant quatorze ans. Réédité en 2015, 2017 et 2019″.
« J’ai vécu avec un pervers :
un homme « charmant »
qui a failli me tuer »
…Ces dernières années, ces profils manipulateurs ont été largement évoqués dans la presse. Pour autant, sait-on réellement à quoi correspond ce comportement ? Marie Murski a vécu avec un pervers narcissique pendant de nombreuses années. Elle en a tiré un livre intitulé « Cris dans un jardin ».
« J’ai reçu la première gifle à peine deux ans après notre rencontre, il y avait eu bien des insultes et des menaces auparavant. Ce soir-là, j’ai voulu m’enfuir mais dans la nuit il est venu me chercher, m’a couverte de mots d’amour, et je suis restée. La violence physique s’est alors peu à peu installée, moins fréquente au début que les insultes, les humiliations, les punitions.
Le langage ordurier apparut et augmenta au même rythme que la violence. Il voulait voir ma peur. Il était très prudent, il évitait les coups qui laissent des traces. Il me poussait violemment et, lorsque ma tête partait un peu loin, me retenait par les cheveux pour éviter qu’elle ne cogne sur le mur. Il me saisissait par les oreilles et secouait ma tête, j’avais des douleurs dans le cou, mais rien n’était visible.
Il me lançait du café au visage, de plus en plus chaud, et menaçait de le lancer bouillant. Il me menaçait de mort et d’étranglement, avançait ses doigts sur mon cou, mimait le geste.
Si je voulais m’éloigner de notre lit, il m’y ramenait de force, me traînait, et le viol s’ensuivait.
Il lançait ses poings à quelques centimètres de mon visage. Il voulait voir ma peur. Il la préparait, il l’annonçait en se balançant sur sa chaise ou en poussant à fond la chaîne stéréo. Avec lui j’ai appris à haïr la musique. Omniprésente, elle précédait, accompagnait mon angoisse et ma peur, grandissait sous les insultes, aggravait les humiliations. La musique servait la terreur.
À la fin, quand il a compris que j’avais commencé à parler, il s’est déchaîné et a voulu me tuer. Mais en toute impunité, sans trace visible de violence.
Le balancement annonçait les violences
Il a deux visages complètement opposés. Et il peut en changer au passage d’une porte.
Il a très vite menacé pour que je cesse de travailler ( je suis sage-femme ) et œuvré pour que je cesse d’écrire. J’ai ainsi laissé le roman que j’avais commencé. Après 11 ans sans nouvelles, mes éditeurs me croyaient morte.Il est insensible au chaud et au froid. J’ai souffert du froid. Nous dormions la fenêtre ouverte, il l’exigeait, été comme hiver. Il dormait nu et m’obligeait à faire de même ; je devais « être à disposition », il le disait et refusait que je me couvre. Nous mangions dehors par tous les temps. Je déjeunais dehors en janvier et en février, avec des gants, transie. Il fallait sans cesse aller réchauffer les plats, lui se balançait sur sa chaise. À table, dedans comme dehors, ce balancement annonçait les violences.
J’avais des pièces interdites dans la maison, notamment la grande pièce à vivre. Il a éloigné tous mes amis, m’a complètement isolée ; j’ai vécu 11 ans sans télévision, sans journaux, pratiquement sans radio, sans téléphone. Mon nom n’apparaissait plus nulle part. Je travaillais 365 jours par an, et parfois la nuit, dans le jardin.
Un homme brillant et charmeur.
Au début je suis partie plusieurs fois sur la route, à pieds, dans la nuit. Il y avait 15 km pour rejoindre la gare, un bois à traverser. Je revenais. Il me couvrait alors de mots d’amour et je me sentais coupable d’agir ainsi. Je l’avais « énervé ». Mais il m’aimait tant qu’il me pardonnait. La faute était sur moi, toujours.
Devant les autres, il me montrait un amour indéfectible, vantait mes qualités, me portait aux nues. Mais en privé, j’étais « une pétasse, feignasse, une salope et une pute ». Dans le registre « Mon amour /Saloperie » il était d’une redoutable efficacité. « Mon amour » devant les autres, « Saloperie » en privé.
Au centre de sa personne, seul Dieu vénéré, était l’Argent.
Il n’éprouvait pas de sentiment. Je ne l’ai jamais vu triste, ni même chagriné. Si les événements ou les personnes ne pliaient pas sous sa volonté, il débordait de rage et de haine, mettait tout en œuvre, son intelligence aidant, pour redresser la barre et vaincre.
Cependant, si vous le rencontriez, il vous aurait séduit en quelques minutes. Il vous impressionnerait, vous fascinerait peut-être, car vous sauriez très vite la liste de ses diplômes et ses belles réussites. Brillant, charmeur, entreprenant, son intelligence et sa culture se révèleraient avec superbe, vous enchanteraient. De plus, c’était un excellent violoniste.
Je n’ai jamais mis de nom sur son comportement. Dans les années 90, on ne parlait pas autant qu’à présent de perversions narcissiques.
Je continuais à l’admirer.
J’ai mis longtemps à comprendre à quel point j’allais vers la déchéance et la mort. Comment mon jardin allait devenir mon cimetière. J’étais « sa chose », mise en esclavage, mais je ne mettais pas de nom sur ce que je vivais. Je savais pourtant les leurres et les grands mensonges qui constituaient l’essence même de sa vie, son double visage, son double langage. Et comment, sous couvert de belles paroles, de belles musiques, il prônait le Mal absolu.
J’entendais les mensonges, les ordres contradictoires, les insultes, les menaces de mort ; je voyais comment il niait mon existence, s’appropriait mon énergie, mon élan vital d’espérance, comment il vidait mon corps, ma vie, comment il attirait mon air dans ses poumons.
Cependant, j’étais incapable d’analyser tout cela ; décervelée, je continuais à l’admirer. Et quand, devant ses amis, il me disait tout son amour en me prenant dans ses bras, j’oubliais tout, j’étais dans un paradis, oubliant qu’au bout des bras, il y avait des poings.
J’ai senti le danger. »
Quand j’ai cessé de l’admirer, quand l’alouette est sortie du miroir, j’ai senti le danger pour ma vie. Car s’il percevait que je ne l’admirais plus, alors je ne lui servais plus. La « chose » que j’étais perdait sa fonction et devait disparaître.
Mais même alors, j’ai été incapable de partir, de quitter mon jardin voué à la destruction. »
L’article de « L’OBS. LE PLUS «
publié le 20-10-2014
Par marie-murski
Sage-femme et auteur
NOUVEL INTERVIEW DE MARIE MURSKI POUR LE SITE
« Révolution Féministe »
Par Francine Sporenda
publié le 14 juin 2020 ( lire tout le texte avec ce lien )
D’origine polonaise par son père, sage-femme de métier, elle exerce en tant qu’humanitaire en Afrique, puis dans la Manche d’où elle publie poésie et nouvelles ; passage dans l’émission « Apostrophes » de Bernard Pivot en mars 1986 et rédactrice d’une revue littéraire jusqu’en 1990. Elle sera alors séquestrée pendant 14 ans par un homme pervers et violent, cessera de travailler et d’écrire. Sauvée de justesse, elle reprend son métier et l’écriture. Elle a publié plusieurs romans et recueils de nouvelles, en particulier “Cris dans un jardin”, prix des lecteurs d’Aumale, réédité 3 fois, qui relate ses années de violences conjugales. Elle l’a aussi écrit pour le théâtre, et la pièce est jouée depuis novembre 2018.
FS : Vous avez découvert après votre mariage avec H.B. que vous étiez sa cinquième femme, qu’il venait juste de divorcer quand vous l’avez rencontré, qu’il était en quête d’une remplaçante, et que celles qui l’avaient quitté étaient en piteux état après cette relation. Pourquoi selon vous les hommes comme H.B. ne peuvent absolument pas se passer de la présence d’une femme ?
MM : Je pense qu’ils ont besoin d’être admirés, séduire est très important pour eux. Au début, il y a une telle séduction, un tel déversement d’amour que l’on est subjuguée par ça, je l’admirais énormément. Et je l’ai admiré longtemps ; il avait besoin de ça : que je l’admire. Et d’ailleurs, c’est quand il a senti que je ne l’admirais plus, bien des années plus tard, à la fin, qu’il a vraiment voulu me faire disparaître. Donc je l’admirais, je lui servais, je le servais. La servante, celle qui se dévoue totalement… Notre relation était basée beaucoup là-dessus, je ne suis pas quelqu’un de faible et normalement, je ne sers personne mais lui, dans son imaginaire, me pensait comme ça : parce que je l’admirais, je devais tout pardonner, tout excuser, il était comme ça. Et d’ailleurs, il me le disait souvent : « je suis comme ça », il n’y avait pas à discuter, il ne changerait pas.
FS : Vous deviez absolument nourrir son narcissisme?
MM : Absolument. Cela, il le faisait beaucoup aussi avec ses amis, en plus de sa femme. Et il ne voulait pas n’importe quelle femme, il voulait une femme « bien », qui fasse des choses, qui soit intelligente, qui ne soit pas trop moche etc. Comme il avait le plus beau des chiens, la plus belle des maisons, la plus belle des voitures, il lui fallait la meilleure des femmes.
FS : Il lui fallait une femme spéciale, qui ait une certaine surface sociale, pas une femme « ordinaire », sinon il n’y aurait pas eu de validation narcissique ?
MM : Voilà, et ses autres femmes correspondaient à ça aussi, elles étaient tout à fait bien.
FS : Vous parlez du cycle de la violence conjugale, montée de la tension, explosion, gentillesse et attentions en vue d’une réconciliation etc. Pourquoi à votre avis ces périodes de gentillesse peuvent persuader les femmes de ne pas partir et pourquoi faut-il souvent plusieurs allers et retours avant que ces départs soient définitifs ?
MM : Je pense que ce n’est pas uniquement ça qui nous empêche de partir. Au début oui, mais l’emprise est quelque chose de très compliqué à comprendre. Quand ça a commencé, ce cycle tension/violence/gentillesse/accalmie, je pensais vraiment qu’il allait changer, d’autant que ces périodes de violence étaient quand même relativement espacées. On a vécu trois ans à Paris, et pendant cette période, les violences étaient plus espacées. Là, effectivement, ces périodes de gentillesse m’ont empêchée de partir. Pourtant, avant la première gifle, j’avais déjà reçu beaucoup d’insultes mais, au début, ces périodes d’accalmie m’empêchaient de partir. Je me disais « bon, quand même, il n’est pas si terrible que ça » ; à chaque fois, je reprenais espoir. Mais en réfléchissant à tout ça, au bout d’un moment, il y a une emprise qui se met en place, j’étais devenue incapable de vivre par moi-même, de sortir de mon jardin, c’est plutôt ça qui m’a empêchée de partir. Je ne me voyais plus capable de faire quoi que ce soit en dehors de mon jardin, c’est-à-dire en dehors de lui.
Surtout quand il a fait jouer ma « puanteur », ma nullité etc., j’étais tellement dévalorisée que je ne me voyais pas reprendre un travail quelconque. Et l’argent était à lui, moi je n’avais rien, très vite au bout de quelques années, je n’avais plus rien, et il me le faisait bien sentir. J’étais coincée en fait. C’est beaucoup plus compliqué que ça, les femmes vous disent : « je ne pars pas à cause des enfants, à cause de la maison, à cause de mon travail ». En fait, on ne part pas parce qu’on ne peut pas partir. Et ça c’est difficile à expliquer et à comprendre.
FS : Vous dites qu’il avait deux visages, un pour la sphère publique où il se montrait un mari aimant et plein d’égards, un autre pour le privé où il vous dénigrait constamment et vous frappait, ce que vous nommez le système « mon amour/saloperie ». Pourquoi est-ce si important pour ces hommes d’entretenir une image positive dans la vie sociale ?
MM : Pour avoir le pouvoir, et il avait des amis haut placés pour ça. Quand il était avec des amis, je ne le reconnaissais même pas, il n’était pas obséquieux mais plein d’égards, d’une gentillesse extrême. Et je savais que tout ça était faux, au bout d’un moment j’avais compris qu’il jouait la comédie. A la fin, je me disais souvent: « il est vrai quand ? Il est vrai quand il est gentil, ou il est vrai quand il est abominable ? » Je ne sais pas. Il passait d’un extrême à l’autre avec une facilité étonnante ; je l’ai vu changer de visage au passage d’une porte. Etonnant !
FS : Dr Jekyll et Mister Hyde ?
MM : Complètement, c’est exactement ça. C’est dans sa nature, je pense qu’il est venu au monde comme ça…. ( lire la suite sur le site « Révolution féministe » avec ce lien )